Discussion de l’article « The value of value theory for ecological economics » de Elke Pirgmaier

Par Mourad El-Ouiali, Sonya Frank, Ugo Lemaire, Alexis Masson 

Introduction 

Elke Pirgmaier s’intéresse à la théorie de la valeur pour l’économie écologique. Selon elle, de nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés sont systémiques, nous devons donc avoir une vue d’ensemble pour les aborder. Le point de départ est d’essayer de comprendre le désordre, la réalité complexe dans laquelle nous sommes. Elle fait une métaphore avec un cyclone dans lequel le centre est la théorie de la valeur. En effet, on lui a dit que pour pouvoir comprendre le capitalisme, il faut d’abord s’intéresser à la théorie de la valeur, qui est la mesure du bien-être. Pour l’étudier, elle analyse les deux visions de l’économie : la vision classique et la vision hétérodoxe de Marx, afin d’y situer l’économie écologique. Le marxisme a selon elle une vision réaliste du capitalisme et permet d’aborder la question de manière cohérente, malgré les avis sceptiques dont est victime ce courant de pensée économique. Elle pense que l’économie est soumise à la dynamique du pouvoir, il est donc très difficile pour les marxiens et les théoriciens radicaux de s’imposer dans le monde universitaire. Elke Pirgmaier s’intéresse au sujet en mêlant économie et philosophie. 

Résumé de l’article 

Le texte « The value of value theory for ecological economics » de Elke Pirgmaier met en lumière les diverses notions entourant la théorie de la valeur. Elle tente d’éclaircir ce concept complexe, abstrait, et controversé dans certains cas, en identifiant 3 approches pour mieux comprendre la valeur en économie : l’approche classique britannique par Smith et Ricardo,  l’approche néoclassique (se basant sur la théorie de l’utilité marginale) et la théorie marxienne de la valeur. 
Diverses raisons l’ont poussé à traiter ce sujet. Tout d’abord, car il manque à l’économie écologique une théorie économique du capitalisme expliquée à partir de ses fondements. Ensuite, car la théorie de l’utilité marginale mène à des stratégies de « tarification de la nature », tandis que celle de Marx conduit à des stratégies de « dépassement du système ». Et pour finir, car la théorie marxienne est fortement associée à des idéaux révolus par les économistes écologiques, ce qui tronque leur appréciation quant à celle-ci alors qu’elle se veut être une critique fondamentale au capitalisme. C’est notamment pour cette raison que l’auteur développe majoritairement la théorie marxienne dans son article.  
 

 
Pour expliquer la théorie de la valeur, les économistes classiques ont distingué la valeur d’usage et la valeur d’échange.  
La valeur d’échange est le rapport entre deux marchandises ou services quelconques, c’est-à-dire le pouvoir d’échange d’une marchandise contre une autre. L’argent s’est développé comme mesure socialement acceptable de l’échangeabilité.  
La valeur d’usage, quant à elle, signifie l’appropriation de la nature pour la satisfaction des besoins et des désirs humains. Elle dépend des propriétés matérielles des marchandises.  
 

Les économistes classiques se sont dirigés vers les valeurs d’échanges parce qu’une société produisant la plupart des biens et des services pour les vendre sur les marchés est une société qui produit principalement pour l’échange. La valeur d’échange est donc celle qui détermine et domine les décisions de productions.  
Smith et Ricardo, tous deux des économistes classiques, soutiennent des théories légèrement différentes. Smith dit que la théorie de la valeur est fondée sur les coûts de production dans les sociétés capitalistes qui expliquent la valeur d’échange. Ricardo, quant à lui, soutient une théorie de la valeur incarnée par le travail, c’est-à-dire le travail concret des individus dans les marchandises.  
 
La théorie de l’utilité marginale de Bentham s’est développée pour expliquer la valeur d’échange. L’utilité exprime l’idée que les gens recherchent le plaisir et évite la douleur dans la poursuite du bonheur. La consommation et l’échange sont considérés comme le principe d’organisation central de la société capitaliste. Or, la théorie de l’utilité étant basée sur le calcul du plaisir et de la douleur, l’objet de l’économie étant de maximiser le bonheur en achetant le plaisir au coût le plus bas de douleur. La valeur dépend donc entièrement de l’utilité selon cette théorie. L’explication marginaliste de la valeur d’échange en tant que quantité de plaisir et de douleur a été généralement acceptée et a donc dominé les théories précédentes.  

Quelles sont les positions des économistes écologiques ?  

 
Certains sont favorables à la théorie de l’utilité marginale car pour réaliser le processus d’évaluation des biens et services écosystémiques, une compréhension de la valeur est nécessaire. En effet, certains auteurs considèrent la théorie marginale comme une amélioration de la théorie de la valeur.  
 

D’autres rejettent la théorie de l’utilité marginale car ils sont contre le monisme des valeurs, c’est-à-dire la réduction de multiples valeurs environnementales en un seul chiffre monétaire. En effet, ils trouvent que les problèmes socio-écologiques sont trop complexes et incertains pour être monétiser étant donné que les marchés ne donnent ni une mesure directe, ni un moyen d’action ni un indicateur adéquat.  
 

Des économistes écologiques se sont inspirés de la théorie classique pour soutenir une théorie de la valeur de l’énergie. Selon eux, le travail est une forme d’énergie, ce qui fait de l’énergie le déterminant ultime de la valeur d’échange. Elle est considérée comme une substance pouvant être remplacée par une autre, et pouvant être utilisée pour mesurer et comparer la valeur des marchandises. Pour eux, le flux d’énergie devrait être la principale préoccupation de l’économie.  
 

En ce qui concerne la théorie marxienne, celle-ci n’est pas spécialement traitée par les économistes écologiques pour deux raisons : la première étant que Marx considérait le travail comme seule source de valeur et la deuxième étant que la théorie marxienne reste associée à des idéologies politiques déchues et dépassées.  

Approche marxienne de la valeur 

Dans les points suivants, elle développe plus en détail la théorie Marxienne de la valeur. L’approche Marxienne est duale, en ceci qu’elle postule que tout bien présente à la fois une valeur d’échange et une valeur d’usage. Pour Marx, c’est le fait que des biens présentent des valeurs d’usage différentes qui rend possible l’échange (par exemple, il n’y a aucun intérêt à échanger une bouteille d’eau contre une autre, les deux ayant exactement la même valeur d’usage).  La valeur d’usage ne pouvant suffire à expliquer la valeur d’échange, Marx postule qu’il doit exister autre chose. Cette propriété, commune à tous les biens, doit permettre de les rendre commensurables.  Marx l’appelle valeur. Cette valeur correspond en fait à ce qu’il appelle le temps de travail socialement nécessaire. Ce temps de travail socialement nécessaire ne correspond pas au temps qu’il a fallu à un ouvrier pour produire un bien (sans quoi cela impliquerait qu’un bien produit par un ouvrier lent ou paresseux a plus de valeur). Il s’agit plutôt d’une valeur moyenne, qui dépend notamment de l’avancement technologique. Cette valeur dépend donc de la productivité de la société dans laquelle la production a lieu. 

Une fois ceci posé, il reste à comprendre comment la valeur se manifeste concrètement. Il s’agit du prix. Cependant, bien que le prix soit lié à la valeur, ces deux concepts ne sont pas équivalents. Le prix est l’expression monétaire de la valeur, une forme de la valeur, tandis que la valeur est une essence cachée.  

De ces constats, Marx déduit son analyse du capitalisme : il s’agit d’un système au sein duquel les biens sont produits dans un seul but : générer du profit.  

Critique marxienne du capitalisme et conclusion 

Après avoir exposé l’approche marxienne de la valeur, l’auteure l’applique ensuite à l’économie écologique. Certains économistes-écologiques estiment que le capitalisme peut fonctionner sans croissance.  Cette idée est remise en cause par l’auteure puisque le capitalisme consiste en un processus d’accumulation de capital. De plus, ces théoriciens ne se confrontent pas à la question de l’exploitation, qui est la condition à laquelle un profit peut être dégagé.  

Pour conclure, l’auteure explique que, selon elle, les économistes-écologiques se basent trop souvent sur une conception de la valeur qui reprend implicitement les postulats classiques et néoclassiques. L’approche marxienne est la seule qui fournisse une critique fondamentale du capitalisme. Intégrer cette approche à l’écologie économique permettrait une avancée certaine.  

Questions réponses avec l’auteure 

  1. Dans certains passages de l’article, vous prenez position par rapport à des éléments précis mais selon nous, il manque une prise de position finale dans la conclusion. Selon vous, il faudrait donc utiliser la théorie de Marx pour l’économie écologique ? 

Oui, la théorie du marxisme devrait être davantage utilisée en économie écologique, ce qui ne signifie pas que les économistes écologiques doivent s’engager dans la théorie de la valeur. Le point principal est de faire prendre conscience aux gens que la théorie du marxisme est une manière systémique de s’engager dans le capitalisme et que c’est une vision qui manquait pour l’analyser. 

  1. Comment se fait-il qu’une question aussi fondamentale que celle de la valeur ait été peu discutée, tant par l’économie classique que par l’économie écologique ? Qu’est-ce que cela dit de l’état de la recherche en économie en général ? 

La valeur est discutée de nombreuses façons, Elke Pirgmaier a été frappée par la place importante qu’occupe la théorie de la valeur dans d’autres disciplines que l’économie écologique. Cependant, la théorie de la valeur en économie est presque traitée comme un chapitre fini pour une raison qu’elle ignore. 

  1. Vous notez que lorsque vous avez commencé à étudier l’économie politique marxienne, vos collègues vous ont conseillé de « ne pas vous en approcher ». Pourquoi ont-ils dit cela ? Y a-t-il un tabou autour de cette théorie ? 

Il y a eu des écrits influents sur ce sujet qui ont suggéré que cela ne valait pas la peine de chercher plus loin mais Pirgmaier pense que ces personnes ne connaissaient pas vraiment cette théorie. En effet, l’économie politique marxienne est composée de textes anciens et longs dont la lecture est chronophage, « pas amusante ».  

  1. Pensez-vous que votre intérêt pour l’économie politique marxienne s’inscrit dans une tendance plus large des économistes écologiques à redécouvrir cette théorie ? Y a-t-il un fossé générationnel dans les attitudes envers la théorie marxienne ? 

Les tendances changent en effet progressivement, de plus en plus de personnes s’intéressent aux théories marxiennes. Cependant, le fossé générationnel est encore grand et elle est certaine qu’elle n’y aurait jamais adhéré auparavant. Selon Pirgmaier, une fois qu’on vous montre que l’économie politique marxienne a tellement de sens, il est impossible de revenir en arrière. Ce serait une manière cohérente d’aborder les problèmes pour la jeune génération. 

  1. Pensez-vous que le système capitaliste puisse encore relever les défis environnementaux ? 

Beaucoup de choses sont possibles, mais elle est sceptique et pense qu’il y a encore beaucoup à faire. Il est selon elle indispensable d’analyser les fondements du système dans lequel nous vivons. Si l’exploitation est au cœur de la vision capitaliste, comment pouvons-nous relever les défis actuels ? L’économie courante est selon elle incohérente car elle a une vue idéalisée et néglige la théorie du profit. Nous devons voir grand, être honnêtes et radicaux dans notre façon d’affronter la réalité. Il est impératif de travailler ensemble à un meilleur système. 

  1. Quelle crédibilité accordez-vous à l’affirmation de Lawn selon laquelle les systèmes capitalistes n’ont pas besoin de croître, alors qu’on nous dit sans arrêt que capitalisme et croissance vont de pair ? 

Elle essaie de montrer que la raison pour laquelle ils pensent que le capitalisme n’a pas besoin de se développer est basée sur la pensée économique dominante. Selon elle, c’est faux mais c’est son opinion, cela doit être débattu. Elle finit par nous donner le conseil suivant : « Il est vraiment important que vous fassiez votre propre opinion et que vous n’acceptiez pas simplement ce qu’on vous dit. »