Discussion sur l’article “Convivial innovation in sustainable communities: Four cases in France”

De Roxana Bobulescu et Aneta Fritscheova

Par Chloé Lebrun, Hélène Gassmann, Laura Haesen et Yuyu He 

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Résumé de l’article  

Cet article vise à contribuer au discours économique écologique par le biais d’un nouveau concept d’innovation, nommé par les auteurs “innovation conviviale”. Suite à la rencontre avec 4 communautés durables, les auteurs ont été amenés à considérer la notion de convivialité d’Illich sous un angle nouveau.  

La convivialité  

Pour expliquer le concept de convivialité, les auteurs citent la définition d’Illich : “Je choisis le terme « convivialité » pour désigner l’opposé de la productivité industrielle. J’entends par là l’interaction autonome et créative entre les personnes, et l’interaction des personnes avec leur environnement, par opposition à la réponse conditionnée des personnes aux demandes qui leur sont faites par les autres et par un environnement créé par l’homme. Je considère la convivialité comme une liberté individuelle réalisée dans l’interdépendance personnelle et, en tant que telle, comme une valeur éthique intrinsèque. Je crois que, dans toute société, lorsque la convivialité est réduite en dessous d’un certain niveau, aucune quantité de productivité industrielle ne peut satisfaire efficacement les besoins qu’elle crée parmi les membres de la société.” (Illich, 1973 : 11). 

À travers l’idée de convivialité, Illich envisageait « un style de vie et (…) un système politique qui donne la priorité à la protection, à l’utilisation maximale et à la jouissance de la seule ressource qui est presque également répartie entre tous les hommes : l’énergie personnelle sous contrôle personnel » (Illich, 1973 : 11-12). Il a appelé à « remplacer les outils industriels par des outils conviviaux » (Illich, 1973 : 12) et a critiqué « l’asservissement de l’homme à ses outils » (Illich, 1973 : 12). 

Communautés durables 

Il existe beaucoup de types de communautés durables différentes, mais elles sont toutes orientées vers des modes de vie alternatifs, par exemple, la recherche de l’autosuffisance et de l’indépendance. La convivialité est une notion essentielle à leur développement. Ces communautés adoptent volontairement un mode de vie plus simple, avec un objectif de décroissance. 

Outil de convivialité, technologie conviviale et innovation conviviale 

Les auteurs conçoivent le terme de convivial innovation en partant des concepts de tools for conviviality et convivial technology, créés respectivement par Illich et Vetter. Afin de mieux comprendre l’innovation conviviale, il est important de clarifier ce à quoi les outils de convivialité et la technologie conviviale font référence. 

Premièrement, en ce qui concerne la technologie conviviale, celle-ci provient de la notion de grassroots technology faisant référence à une forme de technologie développée en dehors du cadre de marché et indépendante des stratégies orientées vers le profit. Par ailleurs, la technologie conviviale comprend 5 dimensions essentielles : relatedness, adaptability, accessibility, bio-interaction, and appropriateness. Les auteurs ajoutent de même que la technologie conviviale est une résultante de l’innovation conviviale. 

Deuxièmement, pour ce qui est des outils conviviaux, ils sont des outils favorisant la convivialité du fait qu’ils peuvent être utilisés par tous les individus, autant de fois qu’ils le souhaitent et ce, pour l’atteinte d’un objectif choisi par l’usager. Par ailleurs, les usagers d’outils conviviaux recherchent l’autonomie et la créativité dans leur relation sociale ainsi que dans leur relation avec leur environnement. Cette autonomie provient notamment du fait que les outils conviviaux leur permettent d’être affranchis du besoin de se procurer des produits fournis par le marché. De même, les outils conviviaux confèrent aux usagers le pouvoir de contrôler le flux énergétique de la manière choisie par ces usagers. À noter que l’utilisation d’outils conviviaux par un individu n’empêche pas son utilisation par un autre. De plus, leur existence n’impose aucune obligation aux usagers. Afin d’illustrer la notion d’outil de convivialité, les auteurs introduisent brièvement le MCT (matrix of convivial technology), qui est un outil convivial introduit par Vetter permettant d’évaluer les outils existant et de donner forme aux projets futurs dans la veine de décroissance. 

Enfin, quant à l’innovation conviviale, celle-ci se réfère à la création de nouveaux outils de convivialité. Les outils de convivialité peuvent être compris ici dans les dimensions sociales et/ou matérielles. Les auteurs font notamment une distinction entre l’éco-innovation et l’innovation conviviale en mettant en avant que la première est destinée à prévenir les dommages environnementaux tandis que la seconde est un moyen de remédier aux dommages environnementaux et ce, par le biais de la bio-interaction ou de l’éco-réversibilité. 

Selon les auteurs, l’absence de stratégies d’investissement dans le cadre de l’innovation conviviale assure la transférabilité des technologies entre les différentes communautés, puisque l’innovation conviviale n’est pas motivée par le profit. Par conséquent, elle facilite la libre circulation des idées sous des formes matérielles ou immatérielles. Les auteurs considèrent également que l’innovation conviviale est un alternatif au régime actuel d’obsolescence programmée à grande échelle dans lequel quelques entreprises phares imposent à la société entière de l’innovation. 

Les auteurs soulignent aussi que les personnes impliquées dans le processus d’innovation conviviale sont ouvertes aux connaissances disponibles sur les technologies existantes et leur développement potentiel. Ainsi, l’accent est surtout mis sur l’adaptabilité des innovations conviviales aux conditions locales plutôt que sur l’apport de nouveautés aux consommateurs. 

Méthodologie 

Les auteurs se basent sur une étude de cas multiples pour développer leur théorie. La première phase de la recherche a consisté en une revue de la littérature. Cette revue a été en second lieu complétée par une recherche en ligne. Enfin, les données définitives ont été collectées à la suite de visites guidées, l’observation directe de chaque site et des entretiens semi-dirigés. 

L’étude s’est focalisée sur 4 sites qui sont tous situés dans le Sud-Est de la France. Les auteurs ont choisi ces cas en raison de la similarité dans leurs cultures et objectifs : ils possèdent tous des capacités similaires quant à leur motivation, leur expérience, le soutien des autorités locales ainsi qu’en termes des ressources financières, techniques et de construction dont ils disposent. Les 4 sites disposent de même des superficies similaires.  

Les sites diffèrent toutefois dans leur ancienneté ainsi que dans les pratiques et technologies qui y sont mises en place. Ils se situent tous aux contreforts de montagnes, mais à des altitudes variées, ce qui fait une grande différence en termes d’accessibilité, de proximité aux ressources (bois, eau, nourriture, etc.) et de conditions météorologiques.  

Les 4 cas  

Éourres 

Il est est le site le plus reculé des quatre et a été établi en 1977. C’est aussi le seul qui n’a pas besoin de se justifier auprès d’une communauté externe voisine et donc le plus autonome. Les trois autres communautés font partie d’un environnement plus large avec lequel ils ont des interactions régulières. Il est toutefois à noter qu’aucun des quatre cas n’a encore su atteindre la parfaite autonomie. 

La communauté met en œuvre l’innovation conviviale en utilisant des matériaux divers dans leur construction tels que de la paille, des troncs d’arbres, des charpentes en bois, etc. De plus, les villageois ont pu mettre en place un système de chauffage commun et des buanderies communautaires. Ils pratiquent de même le compostage, la plantation d’arbres et la revitalisation pastorale. Les résidents font également preuve d’éco résistance dans leur pratique : refus d’utiliser les communications par courant porteur, des antennes pour signaux mobiles ou dispositifs de réseau intelligent pour collecter des données d’utilisation). 

Karma Ling 

 L’éco-site a été établi en 1979. Il est situé près d’une forêt et est longé par un ruisseau. Ce positionnement lui permet à l’éco-site d’avoir à disposition diverses ressources utiles. La communauté de Karma Ling se prépare également pour le développement futur d’une centrale électrique éolienne ainsi que l’utilisation des énergies hydrothermique et géothermale. Le site a notamment su créer de l’emploi local, ce qui a conféré aux résidents une certaine autonomie. 

Par ailleurs, les auteurs mettent en avant quelques éléments de l’innovation conviviale mis en place par la communauté : nouveaux cours (à l’institut), nouvelles formes d’interaction en cercle dans le cadre de méditations conscientes, création de nouvelles activités in situ et production de connaissances, etc. Par ailleurs, la communauté est en pleine phase d’implémentation de techniques de permaculture pour leur permettre d’atteindre l’autosuffisance. 

Hameau des Buis  

Le site fonctionne a été mis en place en 2003. L’innovation conviviale qui y est mise en œuvre à travers des constructions bioclimatiques et des développements à faibles impacts écologiques. Les participants font par exemple usage du bois canadien de haute qualité provenant d’une plantation locale. De même, 80% des matériaux utilisés dans le site ont une provenance locale. Ceci permet de fortement réduire la consommation d’énergie liée au transport ou aux processus de transformation. En plus de cela, la communauté utilise également l’énergie solaire pour se maintenir au chaud et dispose d’un système de chauffe-eau solaire. Les résidents ont également mis en place un système de couverture végétale sur les toits pour favoriser l’isolation et la capture d’eau. 

Montbrison-Forez en transition  

Ce site se trouve encore à un stade de planification et se prépare à l’implémentation. Les réalisations principales qui ont eu lieu dans le cadre de l’innovation conviviale sont : un jardin partagé servant de laboratoire pour la permaculture et un four solaire. En outre, les participants planifient actuellement de construire un habitat collectif en utilisant des matériaux locaux. 

Discussion 

La lecture de cet article a soulevé une série de remarques et d’interrogations. Elles seront ici présentées comme suit : la question posée à la chercheuse lors de sa présentation (en italique), puis sa réponse reformulée à partir de nos notes (écriture normale), puis à certains moments un commentaire ou une réponse de notre part (en italique). 

  1. Il manque une partie discussion dans l’article, ce qui fait qu’on n’a pas vraiment trouvé le lien entre la théorie et les cas pratiques. On a donc du mal à comprendre le but de cette étude de cas. Est-ce que c’était juste pour exemplifier la théorie ? Pour inspirer ? 

Ils ont servi d’exemples à la théorie. Les chercheuses avaient envie d’étudier ces écovillages et ont cherché une théorie pour étudier ce qu’elles voyaient en termes d’innovations, de techniques utilisées dans les différents lieux. Elles auraient voulu faire de ces cas une typologie mais il s’agissait plus d’une réponse aux besoins du moment (répondre à la question de recherche, exemplifier l’innovation conviviale). 

Mais cela ne s’est pas ressenti dans l’article : on a d’abord une théorie bien construite et bien expliquée, puis la présentation des cas d’études, assez peu mise en lien avec la théorie, en tout cas pas assez clairement. Je trouve cela dommage, car leur chemin de réflexion était très intéressant, et il aurait été pertinent de le faire plus transparaître dans la structure de leur article en mettant plus en avant les cas d’études et leur intérêt pour parler de la théorie de l’innovation conviviale. 

  1. Choix du terrain d’enquête 
  • Pourquoi avoir choisi des communautés durables ? Par intérêt des cas extrêmes / exemplaires ? Ou par affinité ? 

Pour les chercheuses, c’était une question d’accessibilité et d’affinité avec ces communautés. Elles les connaissaient déjà et avaient envie de comprendre ce qui s’y passait avec un cadre conceptuel. De plus, du point de vue de la théorie mobilisée, c’était plus logique de parler d’éco-villages car ils permettent de vraiment mettre en place des expérimentations assez radicales, basées sur une petite échelle. 

  • Pourquoi avoir choisi 4 cas similaires ? et pas différents ? 

C’était pour voir ce qu’il y a de différent dans cette propension à innover, entre des communautés plus vieilles ou plus récentes, donc vraiment dans une démarche de comparaison. C’était aussi par facilité car ces cas étaient situés dans leur région et elles en avaient déjà connaissance.  

Encore une fois, il aurait été intéressant de le préciser dans l’article, ce qui l’aurait rendu plus riche et plus compréhensible. 

Ce sont des cas qui étaient situés près de ressources. 

  1. Est-ce qu’on peut l’appliquer à d’autres contextes que les communautés durables ? Et à d’autres échelles comme par exemple une ville ou même un pays ? 

La convivialité est un concept large qui peut s’appliquer à d’autres contextes, mais les communautés sont un peu des archétypes. C’est là qu’on peut y retrouver le plus d’innovations conviviales regroupées au même endroit. Mais il faut garder en tête que ce concept reste une vision utopique développée par Illich, ce ne sera peut-être pas possible de le voir appliqué partout mais au moins ça pousse à réfléchir. 

Il serait intéressant d’appliquer ce concept d’innovation conviviale à d’autres contextes moins typiques, pour voir à quel point il pourrait être un levier vers une société plus durable. Par exemple, les jardins partagés urbains seraient des cas intéressants à analyser sous ce prisme, afin de repenser la manière dont sont aménagées les villes et leurs infrastructures. 

  1. -Comment ces modes de fonctionnement peuvent-ils s’élargir à la société ? (upscaling). -Est-ce que le fait que ces communautés soient isolées joue un rôle dans l’application de l’innovation conviviale ? 

L’isolement n’est pas total : c’est dans l’interaction avec l’extérieur qu’elles évoluent, elles sont en lien avec le public général. C’est justement dans l’interaction et l’ouverture de ces communautés qu’on pourrait arriver à un upscaling de ces concepts. 

  1. Pourquoi avoir choisi le terme “innovation” ? 

Pour ne pas inventer un nouveau terme. Cependant, l’auteure s’est aussi interrogée sur le choix du concept, et n’est pas sûre que cela aurait plu à Illich.  
 
Nous pensons que ce terme porte à confusion, il est connoté dans l’imaginaire collectif comme quelque chose de neuf, alors qu’ici on pourrait plutôt parler de réadaptation. En choisissant ce terme pour éviter la confusion, l’auteur a mené à encore plus de confusion. 
 
On retrouve des éléments d’innovation de marché qui interviennent aussi dans ces communautés, et ces communautés elles-mêmes pourraient créer de nouvelles choses, ce qui justifierait l’emploi du terme “innovation”.  

  1. Quid des outils immatériels comme les méthodes de gouvernance / de gestion des communs? 

Ce point n’est pas forcément pertinent dans les concepts étudiés ici. La littérature sur les innovations sociales en traite déjà beaucoup et de manière assez riche.  
 
Il nous semble pourtant que cela aurait été intrigant et pertinent de pousser l’idée plus loin.  
A travers les 4 études de cas, il aurait été intéressant de savoir comment s’organise la vie sociale concrètement : via du troc ou rémunération pour les échanges “économiques” ? Existe-t-il, en pratique, une hiérarchie spécifique pour les prises de décisions ?… 

  1. Pouvez-vous clarifier ce que vous entendez par éco-réversibilité ? Nous l’avons compris comme l’idée selon laquelle la convivial innovation pourrait “absorber” les dégâts faits jusque-là.  

Il s’agit par exemple de la capacité à régénérer les sols via de la permaculture.  

Bibliographie :  
Illich, I., 1973. Tools for Conviviality. Harper & Row, New York.