« Évolution de la première acception de la décroissance : vers une mise en dialogue de trois paradigmes » par Laurent Lievens

Présentation de Laurent Lievens

Laurent Lievens a obtenu en 2007 un diplôme d’ingénieur de gestion à l’UCLouvain et est assistant en économie. Il est également titulaire d’un master en sciences et gestion de l’environnement de l’ULB et d’un diplôme de bachelier en psychomotricité. Chargé de cours invité à l’UCLouvain, il a notamment enseigné l’éthique de la communication, l’épistémologie et la responsabilité sociétale des entreprises. En 2015, il a présenté une thèse de doctorat sur un sujet complexe en sciences politiques et sociales consacrée à la décroissance, publiée aux Presses universitaires de Louvain. Selon lui, son parcours atypique lui a donné une transdisciplinarité, qui devrait se ressentir dans les chapitres de sa thèse. 

En 2022, il décide de quitter la Louvain School of Management où il donne plusieurs cours d’économie (Berns, 2022). D’après lui, la manière dont les sciences de gestion sont enseignées actuellement dans les universités n’est pas du tout en accord avec l’ensemble des enjeux environnementaux. Continuer à faire croître notre croissance dans un système fini n’est pas possible.

Résumé du chapitre de la thèse

Nous avons examiné l’un des chapitres de sa thèse intitulée « La décroissance comme mouvement social ? Discussion théorique, perspective critique et analyse sociologique de l’action militante« , publiée en 2015. Notre lecture s’est concentrée sur le cinquième chapitre intitulé « Évolution de la première acception de la décroissance : vers une mise en dialogue de trois paradigmes« .

La partie introductive nous permet de situer les lignes de divergences entre le courant décroissant et la néodécroissance apparue après 2001. L’élément principal est le déplacement du focal auparavant centré sur les problèmes environnementaux qui passe désormais à une prise en compte plus importante des dimensions sociétale et personnelle. Cette partie donne également des clés de lecture à travers la méthodologie de construction des idéaux types ainsi qu’un le fil rouge historique des critiques émises à l’encontre de la décroissance.

L’essence même du chapitre se situe à travers trois paradigmes ainsi que de leur mise en dialogue. De cette façon, Laurent Lievens nous propose la présentation d’un premier paradigme, l’écologiste, dont l’objectif est de questionner la relation de l’humain avec son milieu, il aspire à la reconnexion au vivant. Ce paradigme entretient des liens importants avec les connaissances scientifiques étant donné l’importance du monde vivant et des impacts des activités humaines sur l’environnement. Le second paradigme abordé est le paradigme sociétaliste, son essence porte sur les interrogations de comment faire société, notamment à travers une critique radicale des mécanismes de faire société en occident, à travers des notions comme le développement, l’homo economicus, le productivisme, … Enfin, le dernier est le paradigme subjectiviste, il vise l’importance de se relier au transcendant. Il borde la relation de l’humain à lui-même à travers un chemin au sein de l’intermonde porté sur l’introspection et l’extrospection.

Pour conclure, l’auteur vient les mettre en dialogue. Il en ressort une émergence organisationnelle, qui offre un cadre théorique pour une mise en pratique par divers acteurs. De fait, la néodécroissance incarne un moyen de modification radicale de notre société et est un incubateur pour de nombreuses luttes ne se revendiquant pourtant pas comme faisant partie du mouvement.

Commentaires

Dans un premier temps, nous mettons en avant la clarté de la structure du chapitre, ce qui est essentiel en raison d’une longueur et d’une écriture qui diffèrent d’un article scientifique classique. A propos du discours, nous le trouvons précis et rigoureux mais le vocabulaire employé peut s’avérer relativement complexe, pour pouvoir au mieux reflèter la complexité des idées exprimées. Ce vocabulaire pointilleux et parfois très abstrait, notamment dans le chapitre du paradigme subjectiviste, pourrait exclure certains profils de lecteurs. Cependant, des schémas explicatifs ainsi que des synthèses “par idéal-type” permettent une meilleure compréhension de l’articulation des différents paradigmes.

Nous soulignons ensuite la présence de certains choix d’écriture militants, notamment dans le choix des auteurs et des définitions de concepts. Par exemple, le développement est défini selon Rist (2007, p. 34-44) ainsi : « Le développement est constitué d’un ensemble de pratiques parfois contradictoires en apparence qui, pour assurer la reproduction sociale obligent à transformer et à détruire, de façon généralisée, le milieu naturel et les rapports sociaux en vue d’une production croissante de marchandises (bien et services) destinés, à travers l’échange, à la demande solvable”. Prendre ces auteurs ou ces définitions, clairement alternatives, vont à l’encontre de la vision orthodoxe, ce qui permet d’affirmer que la frontière entre le chercheur et le militant est mince.

Enfin, étant plutôt un public adepte au mouvement décroissant, nous aurions souhaité plus de pragmatisme : comment effectivement opérationnaliser un changement du système dans sa profondeur ? Les réponses à ces questions n’ont néanmoins pas à vocation à être répondues dans ce chapitre, qui vise spécialement à une mise en dialogue de trois paradigmes.

Discussion avec Laurent Lievens

Avant d’entamer cette troisième et dernière partie, il est bon de préciser les modalités de cette rencontre. En effet, celles-ci ont été un peu différentes des autres étant donné qu’elle s’est déroulée par écrans interposés entre Laurent Lievens d’une part, et le reste de la classe d’autre part. De manière générale, cette discussion a commencé par une présentation par l’intervenant du concept de décroissance, en abordant son histoire, ses appuis théoriques pour construire sa thèse avant de terminer par un bref résumé du contenu du chapitre envoyé.

Dans un deuxième temps, nous lui avons soumis quelques critiques générales telles que la difficulté de compréhension de certaines notions dans certaines sections ce qui nous a amené à poser notre première question relative au public cible de cette thèse.

Par ailleurs, nous avons fait le choix de poser une question de réflexion pour chacune des sections de ce chapitre. Ce qui a permis, par des reformulations, de comprendre certains concepts techniques tels que le paradigme subjectiviste, de percevoir l’inter- et la transdisciplinarité de cet auteur, de connaitre les méthodes employées à la collecte, analyse données et rédaction du chapitre et de bénéficier d’exemples des changements de régimes (de type 1 et de type 2) tels que la métamorphose de la chenille en papillon. Laurent Lievens a d’ailleurs insisté à plusieurs reprises sur les notions de changement de type 2 ainsi que sur le concept de « liens », à la fois les liens qui coexistent entre les paradigmes et aussi les liens présents dans la théorie de la complexité d’Edgar Morin (un de ces appuis théoriques au même titre que P. Alto ou D. Martuccelli).

De manière générale, nous retenons que la notion de décroissance telle qu’elle est abordée dans ce chapitre est un courant de pensée qui remet en question nos standards (économiques mais pas seulement), notamment dans la perception du “développement économique occidental” comme stade ultime de développement. Son parcours interdisciplinaire lui a permis d’intégrer la décroissance dans une dimension multidimensionnelle passant par la sociologique, la philosophie des sciences, l’économie, etc. Le fait de traiter de la spiritualité dans une réflexion sur la décroissance est innovant et a fait débat avec les différents comités de lecture. Cette dimension propre au paradigme subjectiviste répond à un besoin humain d’illimité qui ne peut être rencontré par les paradigmes écologiste et sociétaliste. Enfin, dans la lignée de la remise en question de nos standards sociétaux, Laurent Lievens préconise de changer de méthode de résolution des problématiques à venir, illustrée par le schéma des optimums locaux, propres aux sciences économiques qui ne conduisent pas à un changement systémique mais apportent davantage de chaos.

Nous clôturons cette revue par une citation de Laurent Lievens, énoncée lors de la discussion et qui invite à la réflexion : «La décroissance va se faire de toute façon. Ce courant n’est pas régressif, il vise à s’organiser pour mettre en œuvre et accompagner le changement de cadre.»

Baratucci Léonard, Dupont Victor-Henry, Gaziaux Anna, Lorenzi Jeanne, Meli Sonwa Victor & Servais Raphaël

Bibliographie :

Berns, D. (2022). Laurent Lievens: «Les études de gestion sont en porte-à-faux avec le réel». Le Soir

https://www.lesoir.be/466326/article/2022-09-19/laurent-lievens-les-etudes-de-gestion-sont-en-porte-faux-avec-le-reel [consulté le 11/04/2023]

Lievens, L. (2015). La décroissance comme mouvement social ? Discussion théorique, perspective critique et analyse sociologique de l’action militante [Thèse de doctorat]. UCLouvain. https://ils.bib.uclouvain.be/global/documents/3455527 


Rist, G. (2007). Le développement : Histoire d’une croyance occidentale (3e éd. revue et augmentée). Presses de Sciences po.