“Planning beyond growth. The case for economic democracy within limits” – Rencontre avec E. Hofferberth

Présentation de l’auteure 

Elena Hofferberth est chercheuse dans le domaine de la macroéconomie à l’Université de Lausanne. Elle s’intéresse aux questions théoriques et politiques de ce domaine tout en étudiant leurs liens avec les crises sociales et environnementales actuelles. Les recherches d’Elena s’inscrivent dans les courants de la “décroissance” et de la “post-croissance” et c’est à partir de cette perspective qu’elle propose de repenser les structures socio-économiques afin de répondre aux défis sociétaux contemporains. 

Ses travaux s’inscrivant dans le mouvement de la décroissance, elle se préoccupe tout autant des questions climatiques et écologiques que de l’importance de la réduction des inégalités sociales ainsi que des interactions entre ces différents phénomènes. Plus spécifiquement, elle porte un intérêt particulier aux questions de réduction des émissions de carbone, d’extraction des ressources et des alternatives en termes de propriété, de politiques monétaires et financières. En outre, elle accorde également une attention particulière aux questions de justice. 

Elle est l’auteure d’une thèse de doctorat intitulée “Pathways to an Equitable Post-Growth Economy. Towards an Economics for Social-Ecological Transformation”. Elle a également rédigé plusieurs articles scientifiques, parmi lesquels celui que nous allons à présent commenter : “Planning beyond growth. The case for economic democracy within limits”, écrit en collaboration avec Cédric Durand et Matthias Schmelzer. 

Résumé de l’article : “Planning beyond growth. The case for economic democracy within limits”

Elena explique vouloir partir des causes systémiques à l’origine des crises sociales et environnementales afin de proposer de nouveaux modèles de société qui permettraient de réaliser les changements nécessaires. Nous proposons ici de résumer les points majeurs de l’article. 

Cet article met en avant l’attention de plus en plus grande qui est portée à l’économie post-croissante. Ce courant post-croissantiste est considéré par de nombreux chercheurs et chercheuses comme une manière de réorganiser la société au regard du contexte socio-environnemental dans lequel nous nous trouvons. Si cet article s’inscrit dans les mouvements décroissantiste et post-croissantiste déjà largement étudiés, il tente cependant d’attirer l’attention sur un point encore trop peu développé dans la littérature scientifique à ce sujet. En effet, si les auteur·e·s de la décroissance et de la post-croissance s’accordent sur le fait que les transformations souhaitées passeront nécessairement par une certaine planification, la forme et les spécificités que celle-ci pourrait prendre restent peu ou pas abordées dans la littérature. Cet article se propose ainsi de mettre en lumière les raisons de ce manque et d’esquisser ensuite ce à quoi pourrait ressembler une planification vers un système décroissant. 

Dans cette optique, les auteur·e·s commencent par identifier les raisons expliquant la mise au ban systématique de cette question de la planification. Iels présentent alors trois postures théoriques négligeant cette problématique et tentent d’en cerner les raisons. Il s’agit de l’économie néoclassique et stationnaire, de l’économie de la prospérité au-delà de la croissance et enfin des critiques anthropologiques de la croissance. Selon ces deux premiers courants, les mécanismes de marché, en envoyant les bons signaux, permettront de réorienter l’économie dans un sens écologique, ce qui ne nécessite donc pas de planification de la part d’autres institutions. Et selon le dernier courant, le changement se fera à partir des communautés et des niveaux de décision plus locaux, ce qui ne laisse alors pas de place pour une planification à l’échelle macro. 

Dans la suite de leur article, les auteur·e·s proposent une série d’éléments qu’ils considèrent devoir être intégrés afin de guider cette planification. Il leur paraît tout d’abord nécessaire d’établir, d’un côté, les limites biophysiques de notre planète, et de l’autre, d’identifier les besoins sociaux et humains à satisfaire. Pour ce faire, iels proposent de se baser sur différents concepts théoriques déjà largement connus : les “planetary boundaries” initialement étudiées par J. Rockström et W. Steffen ainsi que le “safe and just space” décrit par K. Raworth. Iels se basent également sur la Théorie du Donut développée par cette dernière. Les auteur·e·s établissent ainsi cinq objectifs d’une économie politique post-croissantiste et de sa planification : déterminer les limites et les priorités, assurer une participation démocratique, organiser la division du travail de manière juste, changer fondamentalement les forces productives et faire face aux perturbations sociales et macro-financières.

Finalement, les auteur·e·s de l’article proposent et décrivent une forme de schéma institutionnel de planification. Il s’agit d’une conception théorique visant à adresser cet angle mort de la littérature et inspirer d’autres personnes réfléchissant et travaillant sur le sujet. Ce modèle constitue ainsi une première proposition qui n’est pas destinée à être reprise et appliquée telle quelle. Au contraire, l’objectif est d’initier et stimuler de futurs débats et discussions concernant les formes concrètes que peut prendre la planification de la décroissance. Ce schéma institutionnel, que les auteur·e·s qualifient d’architecture fractale, repose sur trois principes. Premièrement, il a été construit à partir de formes institutionnelles et d’outils déjà existants. Cet article part en effet du principe que l’on ne peut rebâtir un nouveau monde à partir d’une page blanche et qu’il importe donc de tenir compte de certains éléments déjà en place et de les faire évoluer pour en tirer le meilleur parti, tout en travaillant au développement d’institutions alternatives. Deuxièmement, cette esquisse se veut ouverte à l’autonomie, la diversité des pratiques socio-économiques et la créativité à tous les niveaux qui la composent. Enfin, et précisément dans cette perspective, ce schéma se fonde sur le principe de subsidiarité. Loin d’une organisation verticale ou pyramidale, il s’agit de garantir la plus grande autonomie possible aux niveaux inférieurs.

Discussion avec l’auteure 

L’une de nos principales remarques portait sur le fait que, à la lecture de l’introduction et au vu de la finalité de l’article, nous nous attendions à ce qu’il apporte des éléments plus spécifiques quant à la mise en œuvre de la planification, aux liens entre les différents niveaux, à l’application du principe de subsidiarité, etc. afin de pouvoir imaginer plus concrètement ce à quoi pourrait finalement ressembler une telle planification. Or, si l’article a le mérite de mettre sur la table cette question essentielle et nécessaire et de proposer un schéma institutionnel très intéressant, nous sommes néanmoins resté·e·s un peu sur notre faim par rapport à certains sujets vaguement abordés (comme la réduction du temps de travail) et en particulier par rapport au schéma de planification proposé qui est assez général et théorique. Bien entendu, il s’agit d’une proposition destinée à inspirer et que les actrices et acteurs sociaux puissent s’approprier, mais nous trouvions néanmoins qu’elle n’abordait pas suffisamment les aspects concrets de cette planification. À cet égard, nous lui avons également fait part qu’il aurait été probablement plus aisé de comprendre le schéma fractal présenté s’il avait été accompagné d’un exemple concret relatif à une décision sur une certaine thématique et la façon dont elle aurait été traitée, passant en revue les différents niveaux de décision, etc. En réponse, Elena nous a expliqué, tout en précisant qu’elle comprenait et était bien consciente de cette remarque, qu’il était difficile de couvrir autant de sujets dans un seul article, tant cela soulève une multitude de questions. En outre, elle a également souligné que s’iels n’ont pas proposé davantage de détails, c’est précisément parce qu’iels ne voulaient pas élaborer un cadre rigide à appliquer à la lettre, mais plutôt de faire en sorte qu’il soit façonné et prenne corps en fonction des différents contextes. La manière dont une question ou thématique sera traitée dépendra donc de la façon dont les acteurs s’organisent à leur échelle. 

Ensuite, nous nous demandions aussi si les auteur·e·s percevaient une différence entre les termes “post-growth” et “degrowth” car ceux-ci semblaient être utilisés comme synonymes. Elena nous a indiqué que le concept de “degrowth” revêt une connotation plus radicale, étant utilisé pour parler de véritable transformation et de diminution, alors que celui de post-growth est plus ouvert. 

Par ailleurs, le titre de l’article nous semblait avoir une connotation très économique alors que, après lecture, son contenu nous paraissait largement politique. À cela, Elena nous a répondu que l’économie est intrinsèquement politique et que la planification dans une perspective de décroissance passe justement par une repolitisation et démocratisation de l’économie. Le défi, a-t-elle souligné, est précisément de dépasser cette séparation artificielle entre ces deux sphères. Ainsi, c’était presque volontaire de leur part de lier les deux dans le titre afin de lui donner un sens tant économique que politique.

De plus, Elena a particulièrement apprécié la remarque du groupe concernant la perspective parfois très anthropocentrique qui transparaissait dans l’article. En effet, il nous semblait problématique d’encore parler d’un “safe and just space” à définir alors même que d’innombrables espèces animales sont déjà éteintes ou en cours d’extinction, ou encore que les évènements climatiques extrêmes touchent déjà de multiples régions du monde. Même à un niveau humain, de nombreuses communautés souffrent aussi déjà des conséquences environnementales. Il est donc déjà trop tard pour pouvoir parler de “safe and just framework for everyone”. 

Enfin, Elena expliquait également lors de notre échange que certaines formes de planifications existent déjà. Nous pensons entre autres aux plans économiques, aux plans d’aménagement, aux plans climat, etc. Néanmoins, pour le moment, la participation de l’ensemble des acteurs et actrices de la société n’est pas effective. C’est essentiellement le schéma “top-down” qui est suivi quant à ces formes de planification. En outre, elle mettait l’accent sur le fait que cette planification ne touche pas suffisamment les domaines de l’environnement et du social. Ceci nous amène au dernier point de ce compte rendu. Nous avons particulièrement apprécié l’aspect horizontal et inclusif qui se dégageait de la proposition de planification exposée par les auteur·e·s de cet article. Les sociétés humaines sont en effet complexes et riches de diversité et cela ne devrait pas être négligé. La façon dont nous devrions décider des règles et de la façon dont les décisions sont prises, devrait prendre en compte ce dynamisme. Il est donc souhaitable que les acteurs et actrices de terrain s’approprient ces mécanismes de décision afin de les adapter à leurs réalités.