Interaction autour du texte “Design features for social learning in transformative transdisciplinary research”

Par Neïla Ali-Chaouch, Luca Giancane et Noémi Royer.

Introduction

Notre travail a été réalisé sur le texte d’Agathe Osinski qui est doctorante à l’Université Catholique de Louvain. L’article en question « Design features for social learning in transformative transdisciplinary research » a été publié en octobre 2018 par Springer et co-écrit par Pauline Herrero et Tom Dedeurwaerdere. Comme le titre de l’article l’indique, celui-ci concerne l’interaction entre le principe de transdisciplinarité et celui de « social learning ». Autrement dit, c’est le principe de la participation entre scientifiques et non-scientifiques dans la compréhension de concepts ainsi que l’élaboration de projets afin de créer un apprentissage collectif. Le principe du « social learning » est défini dans le texte comme un « open-ended process of inquiry geared towards a broadening of the community of practice through social innovation  and  experimentation ».

L’étude analyse 20 projets transdisciplinaires. Le but est de comprendre les critères de base qui participent à un haut taux de « social learning » comme résultat final de ces différentes expériences. Cinq critères cotent chaque projet sur une échelle de 1 à 6, et en parallèle chaque projet obtient une note sur son taux de « social learning » sur base de cette même échelle. Selon les auteurs, trois critères fondamentaux ressortent de cette étude comme étant des conditions sine qua non pour obtenir un taux de « social learning » satisfaisant.

Plusieurs élèves de l’Université Libre de Bruxelles ont eu la chance d’interagir avec l’une des auteurs/rices; Agathe Osinski, sur les procédés utilisés, les choix qui ont guidé cette littérature et les éventuelles perspectives que ce travail représente.

Interactions

Premièrement, nous nous sommes penchés sur la partie des graphiques et leur réalisation. À plusieurs reprises, nous avons remarqué le manque de précision quant aux données présentées. Par exemple, l’ensemble des points n’est pas légendé, ce qui rend l’identification des projets difficile. Agathe O. justifie ce choix par la volonté d’illustrer des tendances, de pointer les projets qui présentent des caractéristiques particulièrement intéressantes, sans surcharger la lecture. Nous avons aussi regretté ne pas trouver une annexe synthétisant tous les graphiques détaillés, pour faciliter la lecture et la compréhension des données. Agathe O. nous a rejoints sur ce point et a même ajouté que la création d’un graphique des critères par cas aurait permis d’évaluer précisément les résultats les plus performants et les plus faibles.

Ensuite, nous avons cherché à savoir pourquoi uniquement 5 critères avaient été sélectionnés pour l’analyse du niveau de social learning des projets étudiés; car nos recherches nous ont appris que de nombreux autres critères étaient envisageables et applicables à ce type d’enquête (Innes, 2004; Lang, 2012). Agathe O. nous a expliqué qu’avec ses collègues, elle a considéré toute une série de critères, puis a vu que certains se distinguaient par leur facilité d’application et d’opérationnalisation sur le terrain. C’est ainsi que les 5 critères présentés dans l’étude ont été sélectionnés, à savoir: a) Openness in the co-construction of the research question, b) Clarification of the normative background, c) Activity of the facilitation mode, d) Active presence of CIAOs, et e) Balancing distribution of power.

Les points a), b) et e) sont les points stratégiques repris par Agathe O. au terme de son étude. Cependant, il nous a semblé que le point d) aurait également pu faire partie des critères sélectionnés. L’interprétation que l’on peut faire du graphique paraît plus ouverte que celle choisie par les auteurs à travers leur article. En effet, ce point semble garantir un seuil minimum de social learning (>3) et aurait donc pu attirer l’attention sur son importance. Agathe O. nous explique qu’ils ont choisi cette interprétation des choses aussi en fonction des interviews qui ont été menées et des projets spécifiques dont nous n’avons pas les détails. Par ailleurs, il est vrai que la présence de CIAOs est une notion toute relative, car cela dépend de leur implication dans le projet, de leur pouvoir et de leur nombre. Toutes ces variables peuvent fortement influencer les résultats, et c’est pourquoi ce critère ne semblait pas suffisamment pertinent pour être finalement sélectionné.

D’autre part, quantifier des données qualitatives revêt un caractère inévitablement subjectif, et il nous semblait pertinent d’aborder cet aspect. Nous avons donc demandé comment minimiser cela lors de l’élaboration du taux de social learning de chaque projet.

Agathe O. et son équipe ont décidé de séparer les rôles d’interviewer et de responsable d’analyse des données (et des résultats), pour que le second n’appréhende que des données brutes sans connaissance des paramètres susceptibles de faire croître la subjectivité et puisse analyser les cas de manière holistique. De plus, Agathe O. insiste aussi sur le fait que le terme « high » pour les scores de social learning signifie « élevé » par rapport aux scores obtenus par les autres cas étudiés, et non pas « élevé » dans l’absolu. Ce point remet les données dans un contexte précis et met en garde sur une potentielle application erronée dans le contexte d’autres études. Néanmoins, et idéalement, l’interviewer aurait également dû endosser le rôle d’analyste, afin de croiser les données avant la validation des résultats. Agathe O. souligne également que le laps de temps entre les différents projets et leurs interviews était différent d’un cas à l’autre, et que cette limite peut être sujette à des biais par rapport aux résultats de l’étude.

En ce qui concerne les groupes interrogés et les interviews menées, nous pensions que les détailler davantage aurait été souhaitable. Nous avons donc demandé plus de précisions à ce sujet, et l’autrice nous a indiqué que les interviews avaient été menées avec le principal responsable de chaque projet, et qu’elles étaient composées d’un mélange de questions fermées et ouvertes. De plus, Agathe O. a concédé qu’annexer le questionnaire dans l’article serait une plus-value pour celui-ci. À notre question « pourquoi l’anonymat des participants ? », la réponse fut tout simplement que c’est une pratique commune dans les recherches scientifiques. L’anonymat est proposé d’emblée durant les enquêtes et les interviews afin de faciliter la conversation. Par ailleurs, il est délicat de demander à une seule personne d’être le porte-parole de tout un groupe, et Agathe O. ajoute qu’il est donc préférable d’accorder l’anonymat.

Nous avons ensuite mené la discussion sur la grande différence des tailles de groupes entre les projets (parfois 15 personnes, parfois un village entier). Le commentaire de notre interlocutrice sur la question fut le suivant ; lorsque l’on parle de social learning, inéluctablement, de la part des participants, cela implique des perspectives et des visions larges et diversifiées, dès lors la taille des groupes n’influence que très peu les résultats. Ce qui va fortement influencer les projets concerne principalement la dynamique des groupes, les relations de pouvoirs entre les participants, et l’attention portée à la participation de chacun. Par ailleurs, il arrive parfois que les grands groupes soient divisés afin de faciliter la discussion.

Suite à ce passage de l’article « At present, no fully developed framework exists for systematically addressing the challenge of normative clarification in transdisciplinary research partnerships », nous nous posions la question des suites de ce travail, et nous voulions savoir si un modèle spécifique (“framework”) tend à être instauré dans le domaine de la recherche sur le rôle de la transdisciplinarité et du social learning. Agathe O. nous répond qu’il n’y a pas de modèle spécifique en élaboration à sa connaissance. Il n’y a pas non plus de réelle suite prévue pour cet article, ceci dit, Agathe O. continue l’étude de cas, et une conférence aura lieu en septembre 2019 afin de présenter les résultats de cette recherche.

Un des élèves présents lors de cette rencontre s’est intéressé aux éléments clés permettant d’être un « bon modérateur » durant les discussions d’une telle enquête. Agathe O. concède que c’est un aspect complexe, et que les facilitateurs sont d’une importance primordiale. Elle avance également que la connaissance scientifique n’est pas indispensable, et que c’est justement les expériences et les connaissances individuelles qui forment un débat de qualité. Afin de mener les discussions correctement , il est aussi important d’avoir un objectif précis en tête, et de s’assurer que tous les participants ont une base de connaissances commune. De nombreux outils existent pour aider à modérer un groupe, pour l’autrice il s’agit surtout de savoir où l’on souhaite mener les débats pour choisir correctement les outils adaptés. Un point important est le fait que la recherche transdisciplinaire est une sorte de démocratisation de la connaissance, et l’objectif est de créer un espace où les individus n’ayant pas souvent la parole puissent s’exprimer, et leur participation sera évaluée au même degré que des données scientifiques.

Un autre participant s’est intéressé à un paradoxe émanant de l’article. En effet, l’expérience gravite autour de 20 projets, or elle en comptait initialement 21. Ce dernier projet a été mis de côté, car ses responsables ne furent pas satisfaits des analyses finales tirées par l’équipe d’Agathe O. Cette dernière reconnaît que ça va à l’encontre du principe de transdisciplinarité et de démocratisation de la connaissance, théoriquement ouverte et co-construite par tous. Dans ce cas en revanche, le dernier mot a tout de même été donné aux scientifiques. Cet aspect fut au centre de nombreuses interrogations et discussions, et la décision finale fut de retirer le 21e projet. Il est souvent délicat d’arriver à combiner les attentes et les objectifs de chacun au cours d’une recherche et cela laisse presque inévitablement certaines parties insatisfaites. L’important pour Agathe O., c’est de créer une base commune et utile depuis laquelle chacun peut imaginer un produit dérivé propre à ses attentes.

Lors de la séance, une autre interrogation tournait autour des objectifs de ces apprentissages transdisciplinaires, et consistait à comprendre si toute la recherche gravite uniquement autour de l’étude du social learning. La réponse fut que ce travail précis tourne spécifiquement autour du social learning, mais de nombreux autres objectifs peuvent être envisagés et étudiés. Les relations de pouvoir, et particulièrement au niveau politique, pourraient en être un exemple, car le fonctionnement se base sur le social learning. De plus, les auteurs n’avaient pas d’autres intentions que celles expliquées dans le travail, bien que celui-ci puisse amener à des effets transversaux.

Conclusion

Cette séance nous a donc permis d’échanger en profondeur sur les parties de cette étude ayant attisé notre curiosité scientifique. Nous tenions à souligner la complexité de parvenir à accomplir un travail traduisant des données qualitatives en résultats quantitatifs, aboutissant à des données chiffrées et des graphiques révélant des tendances. Ce procédé nécessite une méthodologie claire et transparente, et comme nous l’a confirmé Agathe Osinski, également une minimisation maximale du caractère subjectif des données analysées. Par ailleurs, nous avons aussi vu que certaines limites à cette recherche ont été soulevées par l’autrice elle-même et forment des retours très intéressants. Cela peut aider les recherches futures spécifiques ou non à ce sujet par rapport à l’élaboration de méthodologies et à l’évitement de biais d’analyses, par exemple: le croisement entre les interviews et les analyses par plusieurs auteurs aurait pu être enrichissant ou encore: prendre en compte l’influence entre le temps écoulé entre la finalisation d’un projet et son analyse.

Cette interaction avec l’une des trois auteurs/trices de l’article a été effectuée dans l’idée de s’exercer à produire des critiques constructives sur des articles scientifiques en vue d’être publiés, et ce en conditions réelles, grâce aux commentaires en direct de l’autrice. C’est une expérience formatrice apportant de nouvelles compétences que nous devons affiner en tant que potentiels futurs scientifiques. Ce processus fait partie de l’optique de renforcer la valeur des données par la multiple validation de celles-ci, et nous avons donc tenté, à notre modeste échelle de prendre part au principe qu’on appelle le peer review.

 

Source

Notre texte :

Herrero P, Dedeurwaerdere T, Osinski A,  (2018) Design features for social learning in transformative transdisciplinary research. Sustain Sci : 1-19. https://doi.org/10.1007/s11625-018-0641-7

 

Innes JE (2004) Consensus building: clarifications for the critics. Plan Theory 3(1):5–20

Lang DJ, Wiek A, Bergmann M, Stauffacher M, Martens P, Moll P, Thomas CJ (2012) Transdisciplinary research in sustainability science: practice, principles, and challenges. Sustain Sci 7(1):25–43. https ://doi.org/10.1007/s1162 5-011-0149-x