Introduction
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale le PIB (produit intérieur brut) est devenu l’indicateur principal de la comptabilité économique nationale.
Cependant, à partir des années 80, celui-ci est remis en question car il ne prend pas en compte ni la dimension environnementale ni la dimension sociale. D’un côté la croissance illimitée qu’il prône est en contradiction avec les limites que nous impose la nature et de l’autre cette croissance n’est pas toujours synonyme d’une diminution des inégalités ou d’une meilleure qualité de vie.
Ces critiques du PIB vont ainsi mener à la création d’un nouveau type d’indicateurs alternatifs à partir des années 80/90 et surtout 2000. De nombreux indicateurs ayant pour caractéristique de prendre plus en compte les aspects sociaux et/ou environnementaux dans leurs mesures du progrès voient alors le jour tels que l’Indice de Développement Humain (IDH), l’Empreinte Écologique, le Bonheur National Brut, etc.
Cependant, malgré la création de ces indicateurs alternatifs au PIB, un constat est clair: aucun n’a été institutionnalisé et ils sont à l’heure d’aujourd’hui très peu utilisés. Un sujet auquel s’est alors intéressé O. Malay dans son article, est de comprendre la raison pour laquelle ces différents indicateurs ne sont pas utilisés. En effet, selon lui, la littérature, plutôt que de créer de nouveaux indicateurs, devrait se concentrer sur la masse déjà existante, sélectionner les meilleurs et comprendre comment faire pour qu’ils soient utilisés par les pouvoirs publics.
Concernant la raison de la non-utilisation des indicateurs alternatifs, de nombreux chercheurs se sont concentrés sur la question et plusieurs théories ont étés avancées. Une première concerne le langage utilisé qui ne serait pas un langage de politicien ou encore que les données sur lesquelles se basent ces indicateurs ne sont pas assez complètes et ne sont donc pas jugées crédibles par les pouvoirs publics ou tout simplement qu’ils ne voient pas d’utilité à l’utilisation de ceux-ci.
Certaines recommandations ont toutefois été mise en avant par la littérature afin que les indicateurs alternatifs puissent se répandre auprès des pouvoirs publics. Seaford (2013), par exemple, suppose que, pour que ces indicateurs soient utilisés, il faudrait les ajuster selon les besoins des acteurs puissants et ainsi permettre qu’ils aient une reprise institutionnelle.
Cependant, l’adaptation des indicateurs alternatifs aux besoins des pouvoirs publics comporte tout de même le risque qu’ils reproduisent la même vision que le PIB et qu’ils n’aient plus de potentiel transformateur (Lehtonen et al., 2016)
Il y a donc une tension entre l’objectif des indicateurs alternatifs de tendre vers un nouveau paradigme en apportant une vision différente de celle du PIB tout en étant utilisés par la sphère politique institutionnelle.
La question que s’est alors posée l’auteur est la suivante, à savoir : les indicateurs alternatifs au PIB initiés par les acteurs puissants ont-ils un réel potentiel transformateur et sont-ils capables de montrer d’autres représentations de la réalité que celles qui résultent du PIB?
Critique
Tout d’abord, nous avons particulièrement apprécié le fait que ce texte soit accessible pour tout lecteur même en n’étant pas un expert en économie écologique. Par ailleurs, les illustrations, même si elles peuvent sembler compliquées à comprendre au début, deviennent plus claires une fois avoir lu les explications qui les accompagnent.
La première question que l’on s’est posé à la lecture de ce texte est de comprendre la position de l’auteur concernant le mot « croissance ». En effet, l’utilisation d’indicateurs alternatifs, bien que prenant en compte des variables sociales et/ou environnementales, ne veut pour autant pas dire une remise en cause de la croissance économique en tant que but en soi. Lorsque l’on parle de continuer la croissance, s’agit-il toujours d’une croissance économique ou existe-t-il un autre type de croissance ? La réponse d’Olivier Malay fut de dire que justement l’utilisation d’indicateurs alternatifs permet de montrer que faire croître ceux-ci ne veut pas forcément dire de faire croître l’économie. On peut ainsi les élever tout en gardant un PIB constant mais en améliorant les variables sociales et environnementales. La croissance économique n’est ainsi plus un but en soi.
Une autre question alors mise en avant est le fait que dans nos sociétés bon nombre de variables de « bien-être » d’une population telles que l’espérance de vie ou le niveau d’éducation sont corrélées avec le PIB, comment comprendre directement si l’augmentation d’un indicateur alternatif concerne des variables « bien-être » plutôt que des variables purement économiques ? L’auteur répond que, en effet, si toutes les sociétés, en même temps n’augmentent plus leur PIB mais augmentent massivement les autres variables « bien-être » de leur population, alors, l’indicateur restera identique au PIB et il sera compliqué de comprendre l’évolution. Cependant, si tous les pays n’ont pas la même trajectoire, que certains continuent la croissance économique, que d’autres investissent dans l’éducation et que d’autres moins (ou l’a décroissent) alors les rankings entre les indicateurs alternatifs au PIB (ex : IDH) et le PIB vont se décorreler.
Cependant, l’auteur tient tout de même à préciser qu’actuellement, les pays qui ont un haut PIB ont généralement une bonne éducation et une bonne santé, variables qui sont notamment fort présentes dans le calcul de l’IDH, et c’est pour cette raison que celui-ci se rapproche inévitablement du PIB. Par contre, à l’heure actuelle, les variables qui posent surtout question dans les pays développés sont par exemple le taux de burnout, les inégalités croissantes, les problèmes environnementaux qui ne sont pas prises en compte dans le PIB et dès que l’on intègre ce genre de variables à un indicateur alternatif, il va inévitablement y avoir une déconnexion par rapport au PIB.
Une autre remarque mise en avant par rapport au texte est le fait que, malgré le bon choix des indicateurs, ce qui nous a semblé étrange était de faire une analyse quantitative à partir de données qualitatives. En effet, comment est-il possible de mesurer des variables telles que la liberté ? N’était-il pas plus opportun, plutôt que de quantifier ces données, d’utiliser celles-ci de manière différente ?
En effet, l’auteur répond que c’est une question qui est actuellement au cœur du débat dans la littérature scientifique. Lorsque l’on quantifie des données qualitatives, il y a inévitablement une part de subjectivité, du chercheur d’une part, et de la personne interviewée de l’autre. On demande en effet, pour des variables telles que le sentiment de liberté ou de satisfaction de vie, de se placer sur une échelle de 1 à 10, ce qui dépend de nombreuses variables subjectives. Cependant, il est important de faire ce travail de quantification car il permet d’avoir des données sur des régions plus lointaines et inconnues.
Une autre remarque mise en avant concerne l’idée selon laquelle il faudrait obligatoirement des acteurs puissants pour initier de nouveaux indicateurs. Pourquoi ne serait-il pas possible d’avoir de nouveaux acteurs pour initier ces nouveaux indicateurs ? L’auteur répond qu’actuellement on ne connait pas de nouveaux acteurs suffisamment puissants pour pouvoir imposer un nouveau paradigme aux pouvoirs publics. Il faut des acteurs qui puissent arriver à mobiliser les foules telles que par exemples les syndicats ou les Youth for Climate. Les marxistes diront qu’il y a deux forces : le monde du travail et le monde du capital.
Ensuite, une autre question concerne l’utilisation des indicateurs : convient-il mieux d’avoir des indicateurs globaux pour tous les pays ou plutôt d’avoir des indicateurs spécifiques à chaque pays ? La réponse de l’auteur fut en deux temps, en fonction de l’usage que l’on fait des indicateurs. D’un côté, pour le pilotage de politiques internes, il convient mieux d’avoir des indicateurs spécifiques à chaque pays ou en tout cas, à chaque catégorie de pays. Par exemple au Bhutan, une grande importance est donnée à l’aspect culturel, ils ont ainsi mis en place un indicateur qui prend en compte des variables telles que le respect de l’habit traditionnel, la participation au carnaval, la maitrise de l’artisanat local, etc. Par contre, pour un usage plus « externe », qui consiste à évaluer l’action d’un pays par rapport à un autre, l’intérêt est d’avoir un indicateur commun. Il convient donc tout à fait d’avoir un système qui mixe les deux types d’indicateurs.
Par ailleurs, deux remarques ont été faites quant au choix des indicateurs. D’une part, le fait de choisir des indicateurs utilisés pour au moins 120 pays ne limite-t-il pas le choix ? Certains indicateurs intéressants ne seraient-ils pas laissés de côté car n’étant pas calculé pour assez de pays ? D’autre part, choisir des acteurs uniquement dans certains classements (ex : classement du Times des meilleures universités) ne laisse-t-il pas de côté des choses intéressantes faites dans d’autres universités ? La réponse de l’auteur est simple mais juste : en effet, pour faire des enquêtes qualitatives il faut établir des proxys, c’est critiquables mais il n’y a pas d’autres choix pour faire de la recherche.
Enfin, on remarque finalement que, pour tous les indicateurs alternatifs, la dimension d’environnement n’est que très peu prise en compte. Or, à l’heure actuelle c’est un des problèmes majeurs qui menace de tout faire s’effondrer, ne faudrait-il donc pas créer un indicateur purement ciblé sur l’environnement ? Selon l’auteur, il existe déjà un indicateur qui se concentre uniquement sur l’environnement : l’EPI (Environmental Progres Index) qui prend en compte 10 variables purement environnementales. Cependant, l’intérêt de l’article ici a plutôt été de mettre en avant les indicateurs qui se concentrent sur le bien-être en tant que tel dont l’environnement fait partie dans certains cas.
Pour conclure, l’auteur a développé le concept de matérialistes et d’idéalistes. Les matérialistes étant des personnes qui agissent plutôt selon leurs intérêts tandis que les idéalistes sont des individus qui sont convaincus par leurs idées. Pour les idéalistes, une envie de faire des changements positifs, un déclic, une bonne personne mise au pouvoir et des changements peuvent se produire. Cependant, l’auteur est plutôt du côté des matérialistes et pense que, pour le moment, le système correspond globalement aux intérêts des individus qui ne se battent pas encore réellement pour un changement de paradigme. Cependant, plus le système dégrade les conditions de vie de ceux-ci, avec notamment des crises économiques et/ou environnementales, plus ils auront besoin de changement et plus ils agiront pour obtenir ce changement, par exemple en s’organisant autour de syndicats.
Estelle Meyer, Ophélie Leroy et Sylvain Hislaire